« Notre tâche consiste à faire de la Bulgarie non pas un État parfait, mais un État normal. Pour l’être humain, il est beaucoup plus naturel de vivre dans un monde où l’Etat ne l’étouffe pas, ne décide pas de son travail, ne décide pas de ses opinions et ne lui impose ni comment étudier, ni comment vivre. Notre cadre est celui des normes européennes ».
Ce sont les mots prononcés par Filip Dimitrov lors de la Table ronde en 1990. Un an et demi plus tard, cet avocat peu connu est devenu le Premier ministre du premier gouvernement bulgare démocratiquement élu, représentant l’Union des forces démocratiques (UFD).
Ce premier gouvernement est arrivé après le vote de la nouvelle Constitution, qui a vu le jour après de nombreux conflits au sein de l’UDF, qui était une coalition de plusieurs nouveaux partis de toutes sortes de sensibilités politiques. En plus, certains leaders étaient des membres de l’ancienne Sécurité d’État communiste /la police politique/, comme par exemple Petar Beron. Les conflits intérieurs ont abouti à un compromis – le choix de Filip Dimitrov qui en 1991 gagne les élections et devient Premier ministre de l’UFD. Mais encore fallait-il former un gouvernement. Dans la nuit électorale, Filip Dimitrov répondait aux questions de la journaliste Roumiana Ouzunova, qui lui demandait si l’UFD allait former une coalition avec d’autres partis ?
« Le Mouvement des droits et des libertés sera la troisième force politique et nous ne pouvons pas nous en passer pour former un gouvernement ».
C’est ainsi que se forme le premier gouvernement démocratique, avec la participation du parti qui représente la minorité turque. Ce gouvernement définit ses premières priorités pour le développement du pays : réformes économiques et orientation européenne. La Bulgarie fait ses premiers pas sur la scène politique internationale et le 15 janvier 1992 elle est la première à reconnaitre l’État macédonien indépendant, à l’initiative du Président Jéliou Jelev.
Sur le terrain de la politique intérieure, les problèmes commencent. Au sein de la coalition, il y a des réticences à la proposition d’ouvrir les dossiers de la Sécurité d’État communiste. Le MDL s’y oppose. La mafia des anciens sportifs qui commencent à enregistrer des compagnies privées se développe, surtout dans le domaine de la sécurité privée. C’est l’époque de l’embargo contre la Yougoslavie qui est une occasion pour ces milieux de développer un commerce illégal.
Dans le même temps, le gouvernement s’embarque dans une politique de privatisation des entreprises publiques et de restitutions des biens et des terres confisqués par le régime communiste après 1944.
Le 4 février 1992 éclate le scandale des six documents secrets, que le dirigeant du MDL, Ahmed Dogan, a livré à l’ambassade de Turquie à Sofia. Dans ces documents figurent les noms des collaborateurs des Services secrets communistes. C’est un acte de trahison, mais le gouvernement de l’UDF décide de couvrir l’affaire pour ne pas perdre l’appui de son partenaire dans la coalition. La version officielle est que c’est une provocation des anciens agents des Services secrets. Plus tard, Ahmed Dogan renvoie l’ascenseur avec son soutien au gouvernement de l’UFD.
En 2007, on découvre qu’Ahmed Dogan lui-même a un dossier d’agent des Services secrets. Voici comment il raconte sa participation au gouvernement de l’époque au micro du journaliste Assen Guéchakov.
« Au sein de l’Assemblée nationale, le groupe parlementaire du MDL était considéré comme un satellite, qui doit à tout prix donner son vote à toutes les propositions de l’UDF, parce qu’il ne doit en aucun cas se retrouver dans le même camp que le Parti socialiste. C’est la raison pour laquelle nous avons réagi d’une certaine manière au sein du Conseil de coordination de l’UFD et dans notre groupe parlementaire. De fait, nous avons pris des décisions allant à l’encontre des intérêts de notre électorat, parce que nous devions rentrer dans le schémas bipolaire au sein du Parlement ».
D’autres évènements ajoutent à la tension. Le 30 aout 1992, le Président Jéliou Jélev donne une presse-conférence, lors de laquelle il accuse le gouvernement d’avoir déclaré la guerre aux médias, aux syndicats, à l’Église orthodoxe et à l’institution présidentielle. A la suite de son discours, le groupe parlementaire de l’UFD éclate et 23 députés proches du Président le quittent. Le 28 octobre, Filip Dimitrov demande le vote d’une motion de censure, dont le résultat l’amène lui et son gouvernement à la démission.
Malgré les difficultés, ce premier gouvernement réussit à ouvrir la voie vers l’économie de marché et amorcer le processus vers l’intégration euro-atlantique de la Bulgarie.
Version française : Miladina Monova
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