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Monument à l’Armée rouge à Sofia : une épitaphe qui dérange la mémoire...

A la croisée de l'histoire et de l'idéologie

| Modifié le 15/12/23 à 16:05
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Photo: BTA

"L'histoire est du vrai qui se déforme, la légende du faux qui s'incarne", disait Cocteau – une sentence qui décrit bien les tensions que soulève le monument de l’armée soviétique à Sofia.

Retour à l’histoire... Le 5 septembre 1944, l’Union soviétique déclare la guerre à la Bulgarie et l’occupe. Le gouvernement donne l’ordre de ne pas résister. La Bulgarie entre de ce fait en guerre contre toutes les grandes puissances, y compris le Troisième Reich - du jamais vu... L’armée soviétique n’a donné aucune victime en terre bulgare. C’est une vérité historique qu’à l’époque où le Troisième royaume bulgare était contraint de devenir un allié de l’Allemagne nazie, le 1 mars 1941, l’Union soviétique sous Staline l’était également. Un autre fait historique : le 22 juin 1941, Boris III, le tsar des Bulgares, renonce à envoyer des troupes au front de l’Est et cela malgré la pression exercée par Berlin.

Dire que l’Armée rouge aurait libéré la Bulgarie du fascisme relève de la légende, c’est-à-dire du mensonge. Certes, il y avait en Bulgarie un régime autoritaire, dont le poids diminue après la mort du monarque. Pourtant, il n’y avait jamais eu de pouvoir fasciste. L’armée soviétique renverse le gouvernement de coalition légalement élu, dirigé par le premier ministre, le démocrate Konstantin Mouraviev. L’armée soviétique soutient et facilite le coup d’État communiste. Le gouvernement de Kimon Guéorguiev qui prend le pouvoir obéit aux forces d'occupation. L’Union soviétique impose à la Bulgarie un gouvernement stalinien par la terreur et à l’époque de la Guerre froide, le pays se transforme en satellite de Moscou.

Construit en 1954 pour célébrer le 10ème anniversaire du coup d’Etat communiste, le monument à l’Armée rouge est un symbole du libérateur-occupateur. Aujourd’hui, il ne serait point polémique, si les mythes d’avant 1989 étaient rejetés et relégués aux oubliettes. On aurait pu tout simplement changer la plaque commémorative ornée de l’inscription "A l’Armée soviétique libératrice - du peuple bulgare reconnaissant" par un avertissement contre les oppresseurs et les "libérateurs". Déjà en 1878, après la libération de la Bulgarie du joug ottoman, les fondateurs de la Bulgarie moderne n’ignoraient pas la vérité.


Le mémorial est un monument qui exhorte à la mémoire d’un événement historique, très souvent renfermé dans un mythe durable. Les polémiques autour du monument et son destin ne concernent pas que le monument lui-même. Il s’agit plutôt des symboles et des mythes clivants. L’agression russe contre l’Ukraine a précipité les controverses car la perception du présent et les attentes pour l’avenir reposent sur le regard qu’on porte au passé. On peut se demander s’il y a toujours en Bulgarie des politiques et des partis qui espèrent venir au pouvoir à l’aide d’un "libérateur".


Sofia n'a pas saisi l’opportunité de négocier avec Moscou le destin des monuments soviétiques en Bulgarie dans la période après 1990, à l’issue du régime communiste. En échange de leur conservation, la Bulgarie aurait pu demander que les archives bulgares qui lui ont été dérobées en 1944 lui soient restituées. Les archives des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères sont les plus précieuses. Ces documents sont les meilleurs monuments témoignant de la vérité historique que Moscou a toujours peur de laisser publier. Ce n’est pas un hasard si le régime néo-impérialiste de Vladimir Poutine revalorise l’interprétation stalinienne de l’histoire et surtout de la période de la Deuxième guerre mondiale. Tout comme à l’époque du communisme, l’histoire en Russie obéit à l’idéologie. Les monuments démantelés devraient être restaurés et conservés comme des otages pour servir, si besoin en est, de monnaie d’échange...

Version française : Maria Stoeva

Crédits photos : BGNES, BTA



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