Il y a une dizaine de jours le très critique rapport annuel de la Commission européenne sur la justice et les affaires intérieures en Bulgarie était publié avec des reproches contre les autorités de ne rien faire dans ces domaines et d’avoir permis une corruption démesurée et incontrôlable dans le pays. Il y a 48 heures le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a laissé entendre que la Bulgarie pourrait se retrouver le seul pays européen sous la surveillance spéciale de Bruxelles en raison de son incapacité de résoudre tout seul ses problèmes et de l’absence de progrès en matière de suprématie de la loi. Rappelons également qu’il y a environ un mois le business s’est également énervé et a déterré la hache de guerre contre les autorités, persuadé qu’il n’existe pas d’ordre légal et de transparence, que l’insécurité est totale et qu’il manque des règles claires en raison de l’impuissance des pouvoirs publics à se dresser contre le crime, la corruption et l’arbitraire. A l’horizon, par-dessus le marché, se dessinent déjà les contours de l’énorme menace pour la fragile Bulgarie que cache la future nouvelle vague migratoire printanière et le risque de voir cette fois-ci la Bulgarie durement touchée. Bref, les problèmes auxquels doit faire face en ce moment le gouvernement du Premier ministre Boyko Borissov viennent presque de partout, sans parler des cataclysmes au sein de sa coalition au pouvoir, l’énorme scandale avec la Grèce dont les frontières avec la Bulgarie sont presque totalement bloquées par les agriculteurs en colère, la motion de censure contre le gouvernement. Et tout d’un coup dans ce sombre contexte, voilà qu’on voit et entend des déclarations d’amour, des accolades, des sourires, des serments de fidélité et de loyauté. Exactement comme dans un conte de fées…
Cette histoire rose et mélodramatique scelle en fait la réconciliation publique et spectaculaire entre les grands patrons et le Premier ministre dont nous avons été les témoins ces jours-ci. Une mise en scène aussi optimiste et joyeuse, débordant de sympathie et de sentiments positifs on peut rarement en voir dans les théâtres de Sofia, mais c’est justement ce qui s‘est passé dans le bureau du Premier ministre où il s’est fallu de peu pour qu’il n’embrasse le président de la Confédération des patrons et des industriels en Bulgarie Kiril Domouschiev qui, de son côté, est presque tombé à genoux en signe de reconnaissance pour tout ce que les autorités ont fait en faveur du business. Or, il y a à peine un mois, ce même Domouschiev avait frappé sur la table en exigeant la démission immédiate de la main droite de Boyko Borissov, la vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur Roumiana Batchvarova. Maintenant les choses ont changé et les messages ont évolué pour passer au pôle opposé : tout va bien, que personne n’ose lever la main sur le gouvernement !
Quelles sont les raisons de ce radical virage et de ce soutien inattendu pour le gouvernement de la part des grands patrons et ce, en l’espace d’un seul mois? Il s’agit tout simplement du sentiment élémentaire de protection et de ce qu’on appelle l’instinct de survie. Les problèmes s’accumulent en couches les uns sur les autres comme une pyramide, ils deviennent de plus en plus menaçants et remettent en question de manière très concrète la stabilité économique et politique dans le pays, cette stabilité qui est pour le Premier ministre la priorité des priorités peu importe le prix de l’effort. Une des choses que le business aime le moins c’est l’instabilité et le manque de prévisibilité dans le pays. Et c’est justement pour cela qu’il a décidé de miser sur le statuquo, c’est-à-dire sur l’actuelle stabilité. Ce statuquo, bon ou mauvais, au moins, on y est habitué et on sait comment en tirer profit. Le business a intérêt au maintien du statuquo, Borissov aussi. Surtout qu’il a justement besoin de soutien en ce moment. Or, un soutien aussi puissant et influent est le bienvenu. En clair, il s’agit tout simplement d’un deal ou d’un exercice gagnant-gagnant….
Version française: Vladimir Sabev
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