Un débat sur le thème « la Rivière de la Tolérance » s'est tenu aujourd’hui à Sofia, dans le cadre de la semaine de la tolérance déclarée par l’ONU. Quels sont les principaux aspects et défis actuels concernant la tolérance en Bulgarie ?
Nous nous entretenons avec le professeur Anna Krasteva du Centre d’études ethniques et de la migration (CERMES) de la Nouvelle Université Bulgare qui est le co-organisateur du forum.
« A l’époque de la globalisation, lorsqu’on vit littéralement avec le monde entier et le virtuel écourte les distances, nous nous apercevons des multiples formes de différences qui peuvent exister. Comment apprendre à vivre aux côtés d’autres religions, d’autres valeurs, apprendre le « vivre ensemble » tout court ? Le sujet est vaste. Nous allons nous pencher sur quelques-uns de ses aspects en engageant ce débat sur le fanatisme et les moyens que l’Etat laïc pourrait mettre en œuvre pour le freiner. Un des participants dans une autre conférence a argumenté la thèse que l’Europe pouvait être considérée comme une civilisation chrétienne et que le christianisme seul pouvait atténuer les différences. Mes collègues et moi, avons identifié une approche un peu différente de ce que l’identité européenne pourrait être et qui se veut plus ouverte. La question est comment les politiques et la culture pourraient faire face à ces défis. Grâce au dialogue, à l’intégration et aux passerelles, une entente positive sur le vivre ensemble pourrait être envisagée et c’est une des idées que le forum tente de concrétiser. »
Dans l’atmosphère brulante qui s’en est suivie après les évènements tragiques au journal « Charlie Hebdo » en premier plan ressort la manière dont le sujet est traité. « La rivière de la tolérance » a trouvé un point de vue intéressant :
« La table ronde voudrait mettre l’accent sur la façon de traiter le grand challenge qui est celui du vivre ensemble – dit Anna Krasteva. - L’histoire de « Charlie Hebdo » a considérablement échauffé les réactions politiques, le discours est devenu beaucoup trop politisé. Nous avons cherché à axer le thème sur le dialogue et dans un registre plus positif. C’est la raison pour laquelle nous avons invité l’écrivain le plus lu, Guéorgui Gospodinov, un grand narrateur, et Alek Popov, un des écrivains les plus provocants et bien aimé du public. Car de manière beaucoup plus fine et subtile l’art peut aborder les différentes identités culturelles et décrire l’alchimie de la communication interculturelle. »
Notre vécu historique nous a amené à côtoyer différentes ethnies. Ce n’est pas dû au hasard si la Bulgarie a ouvert grand ses portes aux réfugiés du génocide arménien, tout comme elle a évité la déportation de ses juifs, nonobstant le fait que le pays était un allié du Reich. Mais après les années d’isolement derrière le mur de Berlin, la nouvelle vague de réfugiés de Syrie nous a pris au dépourvu en quelque sorte. La fameuse tolérance bulgare se serait-elle avérée un mythe ?
« Nous aurons du mal à définir si le Bulgare d’aujourd’hui est plus ou moins tolérant – répond Anna Krasteva. – Il y a une partie de Bulgares qui penche du côté xénophobe qui attise la haine et dans le même temps nous pouvons observer d’autres qui choisissent la tolérance, la solidarité, l’entre-aide. La vague des réfugiés a mis la tolérance du Bulgare à l’épreuve. Nous avons pu observer deux réactions diamétralement opposées. L’une était celle de la terreur qui a été vite récupérée par des partis extrémistes qui ont transformé le discours humanitaire en menace pour la sécurité nationale en présentant les réfugiés comme des terroristes potentiels. Le côté opposé en revanche, de manière spontanée et chaotique a vu naître des actions de solidarité des citoyens, une multitude de groupements des droits de l’homme, des jeunes gens ont manifesté leur position via les réseaux sociaux etc. Ils se sont pratiquement substitués à l’Etat autrement dit, durant cette première année difficile de la vague migratoire au nom non seulement de la tolérance, mais aussi de la solidarité, de la responsabilité partagée autant qu’une situation complexe l’exige de nous. »
Version française : Lubomira Ivanova
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