Un bref retour dans le temps pour évoquer Trifon Kounev, le rebelle intrépide et le non-conformiste qui ne se pliait à aucune règle, un des humoristes et écrivains de la première moitié du 20ème siècle, dont les pamphlets et les articles lui valent des séjours répétés dans les prisons aussi bien du Troisième Royaume bulgare que de l’époque totalitaire.
Entre la prison et l’Assemblée nationale – le parcours du maître des ballades populaires Trifon Kounev tient en ces quelques mots. Sans cesse en butte aux persécutions des autorités, car il tourne en ridicule la classe politique, Trifon Kounev est contraint de recourir à de nombreux pseudonymes.
Né au village Uglen, dans une famille de paysans aisés, Trifon et ses cinq frères reçoivent une bonne éducation. Les cinq jeunes gens obtiennent leur diplôme de médecin, d’ingénieur, d’agronome, de juriste et d’officier. Un premier temps Trifon Kounev devient instituteur à l’école de son village natal pour monter plus tard à Sofia et y étudier le droit. Il s’essaie aussi à la poésie. Son diplôme en poche il devient journaliste et publie quelques recueils de poèmes. Il prend part aux deux guerres des Balkans (1912-1913). Après le coup d’Etat du 9 juin 1923, il se retrouve en prison ainsi que beaucoup d’autres intellectuels de gauche et membres du parti paysan. Deux ans plus tard, en 1925 après l’attentat en l’église Svéta Nédélia il est à nouveau emprisonné.
Avec le temps il devient un abonné, si l’on peut dire, des commissariats de police et des prisons. Ou comme le fait remarquer l’écrivain Christo Brazitzov, « aucun autre écrivain bulgare n’a fait aussi souvent de la prison et n’a été considéré comme l’esprit rebelle à la plume indomptable. » Après le 9 septembre, l’écrivain occupe pendant un moment le fauteuil de président de l’Union des écrivains et directeur du Théâtre national.
En 1945 il quitte les deux postes et se charge de la défense d’acteurs et d’écrivains persécutés par le régime communiste. Il poursuit ses activités littéraires, publie des pamphlets et des articles particulièrement critiques pour lesquels il est envoyé en justice. Son procès est interrompu, car il est élu député. Après la débâcle de l’opposition unifiée il est condamné à cinq années de prison. Il purge sa peine et sort de prison, mais les persécutions à son encontre ne cessent pas. Elles se poursuivent jusqu’à sa mort en 1954. Dans ses articles Trifon Kounev parle de la pression exercée à son égard par les autorités pour faire plier son intransigeance :
« Je ne léguerai pas à la postérité des écrits pour que les gens et mes petits-enfants puissent les lire et s’en étonner : « comment se pouvait-il qu’il y ait tant de personnages grossiers et malappris chez les écrivains. » Pour en revenir à notre sujet : pourquoi ces bellâtres m’insultent-ils, pourquoi s’en donnent-ils à cœur joie? Leur acharnement n’aurait-il pas quelque motif personnel ? Non, aucun. Ces gribouilleurs, passés maîtres dans la calomnie et le persiflage ne peuvent rien avoir contre moi. Les écrivaillons qui m’assaillent de leurs malencontreuses attaques verbales ont reçu l’ordre de me traîner dans la boue et cet ordre émane de leurs maîtres. Pourquoi donc, sommes-nous en droit de nous interroger, ces personnages de Dostoïevski, tirés de son roman Les Possédés, ont-ils ressenti ce besoin impérieux de m’humilier aux yeux des lecteurs, de me bafouer en tant que personne à l’éthique intègre aux yeux de l’opinion? Tout simplement parce que bien que placé loin des premiers rangs je mène mon combat au nom de la liberté du peuple bulgare, de ses droits et de sa prospérité. Il en est ainsi, car je suis le compagnon de route de ces hommes publics courageux et dévoués qui ont dédaigné les fauteuils de ministres, le confort du pouvoir et la vie facile des hommes politiques à l’esprit moutonnier et accommodant. »
Version française : Roumiana Markova
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